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Blessure et création ou l’éloge de la douleur

A l’origine de tout art se trouve la blessure. Sans cette douleur, sans ce vide, sans cette étrange et insurmontable oppression, l’expression artistique, forme la plus aboutie de l’extériorisation humaine, ne saurait naître. Effort suprême, la poïesis n’est point le fruit d’un homme sain ; c’est le désespoir, la noirceur qui le pousse à s’y verser. L’âme souffrante crée, l’homme transpercé exprime.

« Je ne sais pas si je n’ai rien à dire, je sais que je ne dis rien ; je ne sais pas si ce que j’aurais à dire n’est pas dit parce qu’il est indicible (l’indicible n’est pas tapi dans l’écriture, il est ce qui l’a bien avant déclenchée) ; je sais que ce que je dis est blanc, est neutre, est signe une fois pour toutes d’un anéantissement une fois pour toutes. »

Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance

A l’origine de tout art se trouve la blessure. Sans cette douleur, sans ce vide, sans cette étrange et insurmontable oppression, l’expression artistique, forme la plus aboutie de l’extériorisation humaine, ne saurait naître. Effort suprême, la poïesis n’est point le fruit d’un homme sain ; c’est le désespoir, la noirceur qui le pousse à s’y verser. L’âme souffrante crée, l’homme transpercé exprime.

La plume griffe le papier, et du sang de celui-ci surgit le verbe. Quelques lettres forment un mot, insignifiant en apparence, mais raisonnant d’innombrables émotions enfouies dans les plis de l’esprit ; se déliant petit à petit ces mêmes mots forment des phrases et du sens. La surface sensible d’un appareil photographique est exposée à un flot de photons qui viennent la marquer irrémédiablement. La feuille, la toile, la photographie, l’objet d’art, miroirs de l’être, réconcilient pensées et monde matériel. Le je ne sais quoi devient inspiration, il donne naissance à de la matière qui porte en elle l’empreinte d’un processus créatif et donc du temps. C’est ce temps même qui guérit de la blessure originelle ; l’œuvre d’art ne fait que rendre tangible l’écoulement du temps par lequel tout s’estompe.

L’homme n’écrit ou ne photographie pas par plaisir, mais par dépendance. Enfermé dans son esprit, pris dans un tourbillon incessant et perpétuel, il n’a d’autre choix, s’il caresse le souhait de se libérer avant que de n’être entièrement dévoré, que de sublimer cette émotion brute, insaisissable, saturée.

Ne croyez pas que l’écriture ou la photographie apaisent calmement et paisiblement ; créer c’est avant tout se faire violence, arracher ce qui se trouve en soi et le fixer pour le laisser évoluer indépendamment. Cette séparation ne peut se produire qu’au travers d’une nouvelle blessure, plus profonde encore que la première. Néanmoins, cette seconde violence ne respire point la destruction mais la création. Le mal prend corps, devient contrôlable… La noirceur la plus profonde engendre la lumière la plus éblouissante et la plus claire qui soit. Qu’il est beau de souffrir.

© Louis Frédéric MUSKENS – Tous droits réservés